Une maraude à Paris

16/03/2022

Récit d’une maraude parmi d’autres
On est un soir de février, peu après le passage d’une vague de froid qui a déferlé sur la région. Un petit groupe d’étudiants patientent devant Meunier, prêts à partir pour une longue marche à travers Paris. 8 élèves, dont Inès la respo maraudes et deux internationaux. 3 novices pour 5 autres personnes plus habituées.
Le trajet vers Noisy-Champs se fait en un clin d’œil, et nous sommes dans le train quelques minutes plus tard. La route jusqu’à Châtelet puis via la ligne 4 paraît beaucoup moins longue que d’habitude, noyée dans les conversations. Inès finit par nous guider jusqu’à une église du 9e arrondissement, où nous rejoint un élève de plus.
A l’intérieur, une messe est en cours. On se glisse le plus discrètement possible dans le local à l’arrière du bâtiment. Ils sont une dizaine à patienter à l’intérieur. Des cabas de courses regorgent de café instantané, de sachets de thé, de gobelets, touillettes, sucrettes et autres incontournables de la maraude. On remplit les thermos d’eau bouillante. On répartit les affaires dans les sacs, et les maraudeurs en groupes de trois à cinq personnes. On glisse des vêtements chauds dans chaque cabas. On propose une petite prière pour ceux qui veulent s’y joindre. Alors que tout le monde semble prêt à partir, l’organisateur donne ses conseils aux novices : « Le café n’est qu’un prétexte. Si vous êtes avec quelqu’un qui a envie de parler, écoutez-le. C’est ça le plus important. »
On se retrouve dans un groupe de cinq. Quatre élèves des Ponts plus Raphaël, diplômé d’une autre école et ingénieur dans l’informatique. Raphaël est un habitué. Il nous explique avoir choisi de marauder dans ce secteur parce qu’il a l’habitude d’y croiser un groupe de gars venus de Pologne, où il a vécu jusqu’à ses 14 ans.
On marche vers une destination précise, des arcades où de nombreux sans-abris ont l’habitude de s’abriter du mauvais temps, mais on s’égare un peu en chemin. A la place de la mairie du 9e, un attroupement d’une trentaine de sans-abris nous font ralentir le pas.
Alors que l’on sert le café à tour de bras, on nous explique que l’association qui a pour habitude d’y distribuer des dîners tous les jeudis n’est pas venue ce soir. On se sent un peu bête de n’avoir rien à leur proposer de solide. Tous ces hommes et ces femmes sont bien partis pour dormir le ventre vide.
On continue de servir encore et encore, tant et si bien que nous nous retrouvons à court d’eau chaude. « Vous pourriez en demander aux bars de l’autre côté de la rue ! » propose quelqu’un. Aussitôt dit, aussitôt fait. Une fois la rue traversée, nous pénétrons un autre univers, où l’on peut profiter d’un mojito sans se prendre la tête sur ce que l’on va bien pouvoir manger ce soir. Nous avançons jusqu’à un barista, un peu stressés à l’idée de nous faire recaler. Loin de là cette idée, nous ressortons du bar quelques minutes plus tard, avec des thermos pleins à rebord.
La première vague est passée. Nous servons de derniers cafés en prenant plus le temps de lancer la conversation. Mais l’heure tourne, et nous quittons la place de la mairie pour rejoindre notre destination finale. Il ne reste plus de vêtements chauds à distribuer ni de sucre pour adoucir le goût amer du café, mais on se pose pour de bon, cette fois-ci. Raphaël file pour retrouver ses amis polonais, installés dans un coin de l’arcade. « Alors comme ça, tu écris un article là ? » me demande un algérien avec amusement, qui précise derrière avoir une licence de journalisme (encore merci de m’avoir balancée Sohalia). Il me donne quelques conseils - qui ont été appliqués dans cet article -. Alors que l’on discute article, une dame vient à notre rencontre. Elle fait partie de l’association qui n’a pas distribué les repas sur la place de la mairie. Problèmes de livraison. « J’ai envie de passer leur dire bonjour, mais je ne me vois pas arriver les mains vides. » Le social, ce n’est pas du tout son travail : elle est chargée de recrutement dans un cabinet de CDD, et écrit des poèmes et du slam sur son temps libre. Une deuxième femme vient alors à notre rencontre. Elle travaille pour une autre association qui a des repas en surplus et nous demande des tuyaux pour les écouler. La première la guide avec joie jusqu’à la place de la mairie. Elles sont encore en train d’y distribuer des dîners lorsque l’on retraverse la place, une demi-heure plus tard, pour revenir là où on est partis deux heures plus tôt. On retrouve les élèves partis dans d’autres groupes. Le trajet retour est ponctué d’anecdotes diverses sur nos maraudes respectives et de petits jeux pour briser la glace. Les 3 novices savent qu’ils vont revenir, peut-être avec des potes.
Je me retrouve enfin à Meunier. Il est 23 heures passées, je suis exténuée. J’écoute rapidement les interviews, puis je m’écroule plus que je ne m’allonge sur mon matelas. Ma dernière pensée avant de sombrer est à toutes ces personnes croisées aujourd’hui. Leur seul point commun ? Elles vont toutes passer cette nuit dehors.
Interviews - Paroles de maraudeurs
Inès, respo Maraudes
Qu’est-ce qui t’a donné envie de t’engager plus régulièrement dans les maraudes ? : J’ai entendu parler des maraudes en début de ma première année, à l’amphi de présentation de DVP. Dès que le premier message est sorti, j’ai participé à la première maraude de l’année et ça m’a beaucoup plu, ça a été l’occasion de rencontrer les gens de l’école et plein d’autres personnes complètement différentes. C’est quand même très intéressant d’aller à la rencontre de quelqu’un qu’on ne connait pas pour discuter avec. C’est même assez incroyable. Alors c’est vrai qu’il n’y a pas le mot “président” devant mon poste et qu’on ne comprend pas directement ce que fait un “respo maraudes” lorsque je l’écris sur un CV ; mais j’avais envie que cette activité perdure, et je me suis rendue compte que parmi mes idées pour DVP il y en avait pas mal qui concernaient les maraudes. C’était signe que j’étais motivée pour le poste.
Une ou deux anecdotes de maraudes à nous partager ? : Toutes mes maraudes m’ont marquée, mais j’ai quand-même quelques histoires. Un soir on a rencontré un homme qui avait beaucoup voyagé, à Nice, à Londres... Il nous disait que les habitants des villes qu’il avait visitées étaient comme-ci ou comme-ça, qu’on pouvait aller à tel hôtel où les gens sont gentils et pas trop cher. C’était amusant de voir un aperçu de ce mode de vie un peu vagabond. On m’a aussi raconté un jour qu’un groupe avait croisé une jeune femme dehors, ce qui est assez rare à cette heure-ci. Ils ont appelé le Samu social avec leurs téléphones, et elle a pu leur expliquer sa situation. Le SAMU est venu la récupérer pour la nuit. Etienne [Ancien respo maraudes] m’avait aussi raconté une fois qu’il avait l’habitude de revoir le même gars, mais qu’il ne l'avait pas vu depuis des semaines parce qu’il était sorti de la rue. Il y a des histoires comme celles-là parfois. C'est la réalité de la vie, tout n’est pas toujours rose, mais il y a parfois des petites lumières comme celles-ci.
Est-ce que les maraudes te rapportent quelque chose personnellement ? : J’ai l’impression d’avoir gagné une certaine maturité. Ça a beau être parfois difficile, j’ai l’impression de passer un bon moment en faisant quelque chose qui a beaucoup d’importance pour d’autres. Je fais de belles rencontres. Quelqu’un nous a déjà remercié alors qu’on lui offrait juste un café. Ce n’était pas grand-chose, mais il répétait sans cesse “Merci, merci !”. Ça m’a beaucoup touchée.
Les maraudes ne sont composées qu’à 1 tiers d’élèves des Ponts. D’où viennent les gens d’ailleurs ? : L’année dernière, y avait vraiment beaucoup d’étudiants, en majorité de l’école de sage-femme et de kinésithérapie. Il y avait parfois des personnes plus âgées, des infirmières ou des aides-soignantes qui se joignaient à nous. Cette année c’est plutôt un autre profil, comme des jeunes travailleurs qui connaissent les maraudes par leurs amis ou par l’église.
D’où viennent les affaires qui sont distribuées aux maraudes ? : Le macadam café est rattaché à une paroisse, Saint-Nicolas des Champs. Une partie de l’argent qu’ils reçoivent sert à financer du thé, du café... Il y a aussi parfois des produits d’hygiène. Eux viennent des dons de particuliers : par exemple aux Ponts, la dernière collecte que nous avons organisée juste après les partiels [de janvier] a été directement reversée aux maraudes. Les vêtements peuvent aussi être donnés par des magasins, souvent par le biais de maraudeurs.
Dimitri
Pourquoi fais-tu des maraudes ? : A la base, je me disais juste que ça pourrait être intéressant sans réussir à me motiver à le faire. Finalement, j’ai été convaincu d’y aller par quelqu’un d’autre et je suis très content d’avoir passé le pas.
Une rencontre marquante à nous partager ? : [Plaisanterie en background d’un.e autre maraudeur.se : Tu peux dire nous, hein ! » ] J’ai rencontré un homme d’origine roumaine, qui avait le visage un peu cabossé. Il s’était sûrement fait casser la gueule une paire de fois. Il essaye de me raconter son histoire ; et je n’y comprends rien, mais il parle avec le cœur et finit par fondre en larmes. Je n’ai rien su lui faire d’autre que de lui proposer un câlin. Je voulais juste être là pour lui.
Mais est-ce que tu te sens utile, même en servant juste du café ? : L’une des choses les plus difficiles en tant que SDF, c’est d’être seul. Je pense que le simple fait de discuter n’apporte que des avantages pour tout le monde. Échanger avec des gens qui n’ont pas la même situation que toi, ça permet de garder un pied dans le monde réel. J’avais pas mal d’aprioris avant d’y aller, et j’ai appris beaucoup de choses moi aussi.
Un message pour les hésitants ? : J’étais à votre place à la base, mais j’y suis allé, et j’y retourne sans problème. Donc faites pareil !
Lina
Pourquoi fais-tu des maraudes aussi régulièrement ? : De base, c’est surtout parce-que je n’avais rien à faire et que je m’étais dit que c’était une activité comme une autre. Puis ma première maraude s’est super bien passée. Tu sors, tu discutes avec des gens, tu te balades avec des potes en discutant de tout et de rien et tu rencontres d’autres personnes qui te partagent leurs histoires. C’est une bonne façon de passer mon vendredi soir quoi. [NDA : les maraudes se déroulent le jeudi depuis quelques semaines]
Des rencontres intéressantes, des liens d’amitiés qui se sont créés grâce aux maraudes ? : Une fois, j’ai maraudé dans un endroit où j’ai trouvé 5 ou 6 marocains. On s’est posés avec eux, et on a parlé du Maroc, des endroits d’où l’on venait, et d’autres que je devrais visiter. Ils étaient tellement contents de revivre ça que j’ai trouvé ça super beau. Depuis, j’aime beaucoup retourner là-bas pour les revoir. Les maraudes c’est aussi ça ! T’essayes de revenir et de recroiser les mêmes personnes, de créer des liens. C’est une rencontre hebdomadaire. Ils sont aussi contents de te revoir que toi tu l’es de les revoir.
Message pour les hésitants ? : Je comprends qu’on hésite la première fois, on ne sait pas comment ça se passe, on ne sait pas si on trouvera les mots. Mais je conseille juste d’essayer une fois. Perso, je n’ai jamais regretté d’être venue, même si j’avais parfois la flemme de sortir du lit. Tu vis un moment d’échange fort et tu te dis : Putain, heureusement que je suis venue. C’est quand même beaucoup mieux que la sieste. Il faut se lancer, même si je comprends que ça puisse faire peur.
Louise
Pourquoi maraudes-tu ? : La première fois j’étais assez curieuse de découvrir les maraudes, d’autant que j’étais vachement intéressée par le concept. Je trouve ça grave important.J’étais quand même un peu stressée, j’avais peur d’être maladroite et de ne pas savoir engager la conversation, mais ça s’est super bien passé parce qu’on était bien encadrés. Aujourd’hui, je reviens avec plaisir.
Est-ce que tu trouves que ça te rapporte quelque chose, personnellement ? : Je suis assez fière d’y participer, je sens que ça un petit impact, même minime. Ils sont contents de nous voir, et on est nous-mêmes contents en rentrant chez nous.
Une rencontre ? : Y a deux sans-abris qui m’ont beaucoup touchée à ma première maraude. On ne croise pas forcément beaucoup de monde, on essaye plutôt de passer du temps avec chaque personne. Le premier n’était pas à la rue depuis très longtemps et se sentait perdu. Comme on était avec un habitué des maraudes, il lui a donné plein d’astuces pour trouver des banques alimentaires ou un toit pour certaines nuits. Il était vraiment ému, et nous on s’est sentis utiles. On a beaucoup discuté, il avait besoin de parler et ça lui faisait visiblement plaisir. Personnellement ça m’a montré que vivre à la rue, ça peut arriver à tout le monde, et à quel point c’est difficile à vivre. Cette expérience m’a aussi convaincue que même si ce n’était qu’une petite action, le simple fait de leur parler est super important et leur fait vachement plaisir. La deuxième rencontre était plus folklorique. C’était un homme très enjoué, qui avait envie de nous partager sa joie de vivre. Il écrivait des poèmes en ce moment et nous en a lu quelques-uns.
Un conseil ? : Ne pas hésiter ! Essayez au moins une fois. Il y a peut-être moyen que ça ne plaise pas à certains, aux personnes très sensibles. Mais c’est vraiment une expérience très enrichissante, même pour une seule fois. Y a toujours peu d’appréhension au début, mais on est bien encadrés et ça se passe toujours bien.

Chloé Kemgné

Facebook Instagram